Échapper aux sectes virtuelles. Pour une pudeur de l’être digital | by Martin Jacob | Sep, 2023

Team IMTools
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Échapper aux sectes virtuelles. Pour une pudeur de l’être digital | by Martin Jacob | Sep, 2023
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Et pourtant, aujourd’hui prolifèrent les médias intimes dans lesquels de tels sacrifices sont absents.

En effet, sur internet se répand un genre de contenu qui présente des activités ou discussions des plus banales. Souvent les spectateurs sont invités à se livrer à la même activité ; manger en regardant un livestream ou l’on mange, participer à une discussion mondaine avec le médiateur, mais toujours d’une façon limitée par cet écart de pouvoir et de représentation intime en faveur de ce dernier.

Celui-ci possède un statut vis à vis de son public qui peut varier. Certains sont des gourous, d’autres des boucs émissaires ridicules, mais ils sont toujours le centre absolu de l’attention. Ainsi coagulent sur les plateformes de streaming un ensemble de sectes ou d’anti-sectes, fondées sur la beauté, la laideur, la brillance, la crétinerie, bref sur quelque trait exubérant — parfois à peine exagéré — du médiateur, qui se contente en général d’agir selon son bon plaisir.

L’un des pires exemples était la chaîne d’Amouranth, réunissant des centaines de milliers de visiteurs malgré un cruel manque d’évènements notables ou de préparation de la part de cette influencer. Son succès a donc reposé sur le fait que de nombreux spectateurs acceptent d’être des voyeurs mondains, et qu’elle ai accepté d’être une exhibitionniste sans talent particulier.
Bien sûr, beaucoup de spectateurs ne prêtent pas une attention pleine au contenu dont on parle, et on peut considérer qu’ils ne sont pas tout à fait “là” au même titre que dans une salle de cinéma. On peut cependant noter que si l’influencer venait à les solliciter personnellement, leur attention se riverait sur lui : ainsi, même s’il est “en fond”, le streamer possède toujours un pouvoir d’affect non réciproque.

Portés à l’extrême (certains streams proposent de “passer une journée” en compagnie d’un influencer) ces formats médiatiques deviennent de quasi parfaites simulations d’un contexte social normal, mais qui présentent une inégalité dans la pénétration réelle de l’intimité et le rapport de pouvoir induit.

Tandis que l’influencer est la par l’esprit, l’image, la voix et souvent le contexte physique (et bientôt — faut-il l’espérer ?- l’odeur) le spectateur est réduit à un pseudonyme et un chat textuel strictement modéré. Alors que l’influencer contrôle entièrement l’accès au média par le spectateur, ce dernier ne peut qu’espérer rester en ses bonnes grâces.

Imagez que chaque lundi vous vous rendiez à une soirée d’une vingtaine de personnes. Rien ne s’y passe de particulier : on y mange et boit un coup, on discute. Mais l’hôte se donne un rôle central : il est assis sur un beau siège bien éclairé, à la vue de tous les autres convives qui forment un cercle autour, dans la pénombre. L’hôte choisit tous les sujets et les interromps à tout moment, joue seul à des jeux vidéo sur un écran géant, et parle dans un micro. De plus il a le droit de faire taire définitivement voire exclure tout autre convive selon son bon vouloir. Même si l’hôte était très charmant ou drôle, souhaiteriez-vous vraiment participer à cette soirée ? Pourrait-il justifier un tel pouvoir, une telle captation de l’attention, sans avoir préparé un spectacle digne d’intérêt ? S’il est évident de répondre “non” lorsqu’on imagine un contexte réel, dans des contextes virtuels ce genre d’évènements concerne quotidiennement des millions de personnes. Encore pire : certaines de ces cyber-soirées dictatoriales consistent à moquer et dégrader l’hôte, qui choisit de s’exposer ainsi.

En un sens, on ne différencie les miroirs des écrans qu’on fonction d’un contexte ; nous apprenons que les miroirs nous reflètent et que les écrans projettent d’autres personnes. Mais leur effet est semblable lorsqu’on les envisage comme des technologies d’auto-représentation ; le succès d’un personnage repose en partie sur son identification par le spectateur, qui croit en partie “être” lui. Il peut devenir agréable de manger devant le stream d’une personne plus belle qui mange quelque chose de meilleur : si l’espace d’un instant l’écran devient le miroir (tout comme le miroir, parfois, devient l’écran) nous pouvons, grâce au média, vivre par procuration des vies qui nous paraissent plus enviables. De la même manière, si nous jouissons de regarder un autre plus laid ou mauvais que nous, c’est peut être en partie parce que cet autre nous ressemble et constitue un cas de figure, un avenir possible, une mise en garde.
Et bien entendu, le médiateur total, lui, transforme chaque écran qu’il possède en miroir.

Ce format médiatique, dont la production est facile (et donc profitable), fait émerger une socialité de la médiation permanente, ordinaire, factice et contrainte. Toujours la présence corporelle y est soit supprimée soit exaltée, et y sont maîtres ceux qui n’hésitent pas à travestir et simuler leur intimité entière, pouvant réduire à souhait le corps de leurs fascinés.

Pour fuir cet archipel de petites dictatures intimes, voici deux tenants d’un hygiène virtuelle possible :

  • D’abord, la recherche de la qualité telle que décrite plus haut, forcément rare car requérant les rares artistes capables d’un tel prodige : le principe du spectacle-luxe
  • Ensuite, le reste du temps, l’évitement de ce rapport inégal dans la pénétration de l’intimité et la répartition du pouvoir : le principe d‘accès intime réciproque dans le virtuel
Le format de streaming mentionné enfreint ces deux principes : Il présente un contexte où chacun devrait jouir d’une médiation intime égale, mais dans lequel, pourtant, des spectateurs qui auraient mieux à faire ne peuvent que regarder, en voyeurs fantomatiques, la vie “intime” de médiocres personnalités.
Le streamer Antoine Daniel en est un exemple probant. Il y a 10 ans, il a rassemblé un grand public avec une série Youtube : voilà quelque années qu’il rentabilise sa célébrité en n’ayant qu’à se filmer en train de jouer à des jeux, répéter des blagues et dire “merci pour les subs”. Il a même eu le culot de reprocher à certains de ses spectateurs de se sentir trop “amicaux” avec lui, tout en produisant un contenu qui ne repose que sur l’illusion de partager un moment de socialité avec une star.
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